Interview #3 – Mennatollah Gamal – La cycliste égyptienne

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Après la rencontre avec le Dr Ahmed Samy à Maadi, c’est avec Mennatollah Gamal, une jeune femme de 24 ans de Helwan, une banlieue au sud du Caire, que j’ai rendez-vous.

Diagnostiquée diabétique de type 2 en 2015, le traitement de Mennatollah consistait, au départ, de plusieurs injections d’insuline par jour, combiné à la prise de cachets au moments des repas. En plus du traitement médical, son médecin lui a suggéré de modifier son régime alimentaire et de régulièrement faire de l’exercice. Elle a suivi ces conseils et à adapté son style de vie.

Elle s’est d’abord essayée au volleyball et au basketball, mais elle a rapidement compris que les sports d’équipe et de compétition n’étaient pas pour elle. Par contre, lorsqu’elle a été initiée au vélo, elle a immédiatement su que c’était là l’activité qu’elle voulait pratiquer!

La communauté cycliste est confidentielle au Caire. Elle est tellement restreinte que tous les magasins de vélos sont regroupés dans une seule rue. Cela étant, la solidarité au sein du groupe y est inversement proportionnelle à sa taille. C’est ainsi que Menna, comme aiment l’appeler ses amis, a pu intégrer un groupe de cycliste qui part en excursion à vélo une fois par mois dans différentes régions du pays. Elle a reçu des vêtements cyclistes de l’un des magasins, ainsi qu’une importante réduction lors de l’achat de son vélo, ceci afin qu’elle puisse se joindre au groupe. La difficulté principale a été d’obtenir un modèle de vélo pour femmes.

Cela étant, en tant que jeune femme musulmane de 24 ans issue d’un milieu social traditionnel, Menna a du se confronter à son entourage pour obtenir le droit de faire du vélo.

Elle a du commencer par convaincre ses sœurs et sa maman que le vélo était bénéfique à sa santé. Ensuite, avec leur aide, elle a pu convaincre le père. Son frère, au départ réticent à l’idée de voir Menna faire du vélo, s’est rangé derrière l’approbation paternelle. Malheureusement, certains de ses amis désapprouvant son choix, considérant qu’il était contraire aux principes de l’Islam, ont préféré se distancier d’elle.

Lorsqu’elle parle de ses amis et des commentaires qu’elle reçoit, Menna insiste sur le fait qu’elle ne fait rien de mal et que les gens devraient faire évoluer leur vision des choses: « Des femmes faisant du vélo n’est peut-être pas courant en Égypte. Cela sort certainement de l’ordinaire. Mais je ne fais rien de mal. Le vélo fait partie de mon traitement et je ne fais de mal à personne ! »

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Au-delà de l’effet positif sur sa santé, le vélo lui a aussi forgé le caractère et élargi l’horizon. Fiancée à un jeune homme étudiant à l’Université du Caire lui ayant demandé de désormais ranger sa bicyclette, maintenant qu’ils étaient fiancés, Menna a répondu que si c’était ainsi qu’il voyait les choses, il pouvait retourner d’où il venait. C’est là, étant donné le contexte, une réaction percutante !

Cela étant, son “combat” ne s’arrête pas là. En effet, malgré le fait qu’elle roule en groupe, Menna reçoit régulièrement des regards et des commentaires désobligeants de gens qu’elle croise dans la rue. Ce type de commentaire l’atteignent également sur les réseaux sociaux, où elle partage son vécu dans différents groupes ainsi que sur sa page Facebook “Egyptian Girl on the Bike”.

Mais cela ne décourage pas Menna. Elle roule résolument chaque semaine dans son quartier et ne raterait pour rien au monde une excursion de Pirate Bikes, le nom que s’est donné la communauté de cycliste du Caire. Ses expériences alimentent d’ailleurs ses ambitions. Son rêve de pouvoir faire du vélo a ainsi mué et son objectif est à présent de parcourir les itinéraires principaux de l’Égypte, avant de se lancer dans un tour du monde à vélo. De nombreux obstacles l’attendent, mais elle reste optimiste.

Pour commencer, les femmes, en Égypte, ne peuvent obtenir un passeport qu’avec l’assentiment de leur père, ou de leur mari, si elle sont mariées. Néanmoins l’assentiment ne signifie pas nécessairement la délivrance d’un passeport par les autorités égyptiennes. Et quand bien même elle en obtiendrait un, se pose alors la difficulté d’obtenir le ou les visas nécessaires au voyage. Document bien plus difficile à obtenir pour les Égyptiens que pour, disons, un cycliste belge.

Ensuite il y a la question du financement. À côté de la perte de valeur de la Livre Égyptienne, les égyptiens ne peuvent échanger qu’un montant limité d’argent à des conditions très strictes. En attendant, Mennatollah combine deux emplois, l’un en tant que tenancière de magasin en journée, et l’autre, en tant que professeur particulier d’élèves du primaire, ceci afin de se constituer les économies nécessaires à la réalisation de son propre voyage…

Après l’interview réalisée au Caire, nous avons décidé de nous revoir à El Gouna, une cité balnéaire située le long de la mer Rouge, au nord d’Hurghada, afin que je puisse la filmer et ainsi illustrer sa manière de traiter sa maladie. Malheureusement, le fait que je sois constamment suivi par la police, du fait que je suis un touriste, nous a empêché de rouler ensemble, Menna craignant pour sa réputation et sa sécurité. En effet, le simple fait de faire du vélo est déjà un challenge en soi. Être accompagnée par un homme, étranger, en plus de cela, n’était pas imaginable pour elle, ni, probablement, pour bon nombre de personnes croisée le long de la route, policiers y compris. Il faut parfois choisir les batailles que l’on mène…

À ma grande surprise, après avoir discuté de la liberté des femmes de faire du vélo en Europe et dans le monde Occidental en général, que ce soit comme mode de transport ou comme activité de loisirs, Menna a décidé de se lancer un défi : rouler seule, sans la protection et la l’assentiment qu’offre habituellement le groupe. C’est ainsi qu’elle a parcourus les 320 km séparant El Gouna de Porto Sokhna, plus au nord, en seulement deux jours.

Elle m’a expliqué plus tard, une fois rentrée au Caire, qu’elle avait l’estomac noué au moment de prendre la route. Le malaise s’est peu à peu estompé, à mesure qu’elle avalait les kilomètres.

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Menna, sur le point d’entamer les 320 km qui séparent El Gouna de Porto Sokhna, le long de la mer Rouge.

Au-delà d’une première expérience exceptionnelle, cette excursion lui a valu une invitation à une émission de télévision lors de laquelle elle a été interviewée pendant près de 45 minutes sur l’une des chaîne de télévision principale en Égypte (voir les liens YouTube ci-dessous).

En terme de diabète, le changement de régime alimentaire et l’exercice ont permis à Menna de ne plus devoir faire d’injections d’insuline et de ne devoir prendre des cachets que de manière exceptionnelle. C’est là, bien entendu, une motivation importante à poursuivre ses efforts ainsi que de nourrir ses rêves de voyages.

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Épilogue: Mennatollah m’a contacté en mai 2018 pour m’annoncer qu’elle s’était fiancé.  Étant lui-même cycliste, son fiancé comprend ses aspirations et, bien entendu, la soutien dans ses projets de voyages !

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Merci à Emma Scolding qui m’a mis en contact avec Mennatollah Gamal.
Merci à Esraa Saleh, Manager de Falak Bookstore à Garden City, au Caire, qui a mis à une pièce à disposition pour la réalisation de l’interview au Caire.
Merci à la famille Lambrecht et au Three Corner Hotel d’El Gouna, qui nous ont gracieusement invité à séjourner à l’hôtel et ont apporté toute l’aide nécessaire.

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Aux abords de la Place Tahrir avec Mennatollah et Anas, l’un des jeunes garçons que j’avais rencontré par hasard le jour de mon arrivée au Caire –  https://bikewithdiabetes.com/2019/01/20/egypte-1-premiers-jours-en-egypte/
À l’un des rares magasins de vélos du Caire avec Menna et Ahmed Mohammed Elghoul qui m’a conseillé de prendre l’autoroute plutôt que la route nationale pour atteindre la mer Rouge.  https://bikewithdiabetes.com/2019/04/14/egypte-5-lautoroute/

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