« Tu as donné un nom à ton vélo ? » me demande Emre, Officier Principal du Gisele A, une tasse de café dans une main, un livre dans l’autre, ses cheveux encore mouillés de la douche qu’il vient de prendre.
C’est ma quatrième journée sur le Gisele A, le porte conteneur sur lequel j’ai embarqué le 20 novembre 2017 à Fos-sur-Mer, près de Marseille, et qui va me déposer à Alexandrie, en Égypte. Jusqu’à présent, les conditions météorologiques ont été excellentes : ciels dégagés, une légère brise et une mer d’huile.
Sur le navire, les journées sont divisées en six shifts de quatre heures. Trois officiers et trois ingénieurs, chacun à leur poste, se relayent en permanence. Bien que le navire pourrait atteindre sa destination en auto-pilote, il y a donc en permanence trois personnes de garde qui assurent le bon déroulement des opérations. Tous les incidents qui ont lieu sur le bateau, ou qui affectent celui-ci, doivent être inscrits dans les journaux de bord. Il y en a deux sur le navire. L’un se trouve sur la passerelle, d’où le navire est commandé, et l’autre se trouve dans le poste de contrôle du compartiment des machines situées sous le pont. La personne qui prend son quart commence toujours par prendre connaissance des nouveau éléments qui ont été inscrits dans le journal de bord avec la personne qu’il remplace, afin de relever les points d’attention.
Il est 11 heures du matin et comme chaque jour le Capitaine Mete Koçar, le Premier Officier Emre Sahinturk et le Chef Mécanicien Ali Bayram se réunissent sur la passerelle pour débriefer la nuit et planifier les opérations à venir en fonctions des prévisions météorologiques pour les heures et jours à venir.
Plus tôt ce matin, pendant le quart de 4 à 8 heures du matin, Emre a soudainement dû modifier le cap du Gisele A, car il s’approchait d’un objet flottant non identifié. Les règles de sécurité décidées par ARKAS Holding, l’armateur propriétaire du Gisele A, sont que ses navires doivent respecter une distance minimale d’un mille marin (1,85 km) de tout autre objet afin d’éviter une possible collision et les éventuels dommages qui en résulteraient. Cette mesure de précaution peut paraître excessive, mais lorsque l’on sait que le Gisele A mesure 208 mètres de long, 32 mètres de large et 67 mètres de haut et que son poids dépasse les 65.000 tonnes, une telle mesure de précaution est nécessaire étant donné toute l’inertie accumulée dans cette énorme masse. En effet, bien que la vitesse de croisière soit relativement lente, aux alentours de 14 noeuds (25 km/h), ce n’est que plusieurs kilomètres après que les moteurs ont été coupés que le navire s’arrête. En d’autres mots, l’intervention d’Emre a été rapide, mais le changement de cap a été beaucoup plus lent.
Néanmoins, Emre a réussi a éviter l’objet et, avant de récupérer le cap initial il a identifié l’objet à travers ses jumelles afin de pouvoir compléter le journal de bord et transmettre la localisation et la nature de l’objet aux autorités maritimes. Celles-ci se chargeront de relayer l’information auprès des autres navires faisant route dans le périmètre et, en fonction du danger qu’il représente, viendront éventuellement pêcher l’objet hors de l’eau.
Au final, il s’avère que toute cette précipitation a été causée par… une machine à laver !
Selon Emre, le programme de nettoyage était encore en cours car il a pu voir à travers ses jumelles que le bouton était sur « essorage ».
« Tu as donné un nom à ton vélo ? » me demande Emre à nouveau, une fois la réunion terminée.
Je dois admettre que j’ai pensé à nommer mon vélo, comme de nombreux autres voyageurs l’ont déjà fait avec une voiture ou un sac à dos avant moi. Mais comment procède-t-on pour choisir ce nom qui devra non seulement représenter l’objet, mais aussi lui donner une personnalité et une symbolique liée au voyage ?
L’une des conclusions à laquelle je suis arrivé au fil de ma réflexion avant mon départ de Bruxelles, est que si je devais donner un nom à mon vélo, ce nom devrait pouvoir évoluer tout au long du voyage, au gré des évènements qui jalonnent le périple. Par ailleurs, dans la mesure où je voyage avec une remorque, le nom à attribuer au vélo et à la remorque doit faire référence à un duo. Et plutôt que hautain, il me semblait que le nom donné devait sonner un peu ridicule, pour contrebalancer le fait que je nomme des objets, ce qui, en soi, peut être considéré comme absurde.
Au cours de cette réflexion, j’ai pensé à deux personnages du film Le Roi Lion : le singe Rafiki, sage et posé, et le phacochère Pumba, qui, comme tous les phacochères, court la queue pointée vers le ciel, tel un drapeau de sécurité d’une remorque de vélo !
Cela étant, je n’ai pas mené plus loin cette réflexion hasardeuse étant donné que j’avais d’autres priorités plus pressantes à l’époque…
« Je suis en train de lire un livre sur Alexandre le Grand », me dit Emre, des étoiles dans les yeux. « Cet homme est incroyable. Il a conquis le monde de la Macédoine à l’Inde avec son cheval Bucéphale. Tu vas conquérir l’Afrique avec ton vélo. C’est comme ça que tu dois l’appeler : Bucéphale ! »
Cette remarque m’a surpris car, de mon point de vue, le périple que j’entreprends est un voyage qui se fait au jour le jour. C’est un voyage que j’ai commencé il y a des années, avant même d’avoir quitté Bruxelles. C’est un voyage qui a commencé avant même de l’avoir planifié, lorsque, petit à petit, je me suis habitué à l’idée que ce projet pouvait devenir réalité.
Emre, de son côté, voyait le projet de l’extérieur et je me suis rendu compte qu’il percevait mon entreprise dans sa globalité.
C’est alors que je me suis rendu comte que j’allais traverser l’Afrique à vélo. Mon vélo, effectivement, mérite un nom à la hauteur de son mérite. Noble et absurde en même temps. Pourquoi pas Rafiki Bucéphale van Leuven et Pumba de Alforja ?
et pourquoi pas décliner Bucépale en Bicyphale (allusion à la bicyclette) ou bicéphale (allusion au duo) ?
auquel tu ajouterais ta particule “de Pumba”
cela donnerait “Bicyphale de Pumba” … mais est-ce que cela peut se prononcer facilement dans toutes les langues ??
tu pourrais aussi lui trouver un diminutif ? un petit nom plus court, style surnom affectueux ?
en pédalant, les idées-flash vont surement t’arriver..
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Ah oui, je n’y avais pas pensé…
Pour ce qui est du duo, il est ici constitué par Rafiki et Pumba qui fait référence à deux personnages du Roi Lion.
Rafiki van Leuven, parce que le vélo vient du magasin Rijwielen Cadans à Leuven et Pumba de Alforja, car la remorque vient d’Alforja, au village au sud de Barcelone.
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Cher Arthur,
Merci pour ces nouvelles, nous te suivons avec attention. Nous te souhaitons que ton rêve puisse se réaliser. C’est bien parti bravo. Amitié,
Françoise et Pierre Misonne
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Merci Françoise et Pierre,
Effectivement, tout semble rouler comme il faut!
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Tu m’as fait bien rire avec cette machine à laver sur “essorage” … déroutant le Gisèle A en pleine nuit sur la Méditerranée !
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